Enfants soldats, enfants délinquants, enfants terribles : ils sont les nouvelles coqueluches du grand écran. Depuis La Cité de Dieu (2002), certains réalisateurs semblent même considérer la violence juvénile comme un spectacle ludique. Une tendance qui se veut cool et pop - en témoigne Slumdog Millionaire de Danny Boyle -, sur un sujet qui mériterait souvent mieux que la superficialité.En 2009, le jeune fait (toujours) peur. Et ce n’est pas Rachida Dati qui dira le contraire : une sanction pénale dès douze ans relèverait même, pour notre ministre de la justice, « du bon sens ». Plus tôt en prison, voilà la solution. Ah bon. Le mieux étant de dépister les troubles du comportement dès trois ans, comme le préconise l’UMP, sans doute influencée par une vision de Minority Report au premier degré. Bref, il faudra s’y faire, mais en 2009, outre la crise, le réchauffement climatique et les immigrés, l’humanité a aussi peur de ses enfants.
La faute au cinéma ? Pièces détachées, Khamsa, Johnny Mad Dog, Slumdog Millionaire, Gomorra… Comme en témoigne cette liste de films sortis récemment, la mode mondiale est à l’enfant délinquant : on ne compte plus les histoires de gamins violents portées sur grand écran. Ni gentils, ni méchants, impossible à juger, car encore « irresponsables » ou simplement victimes des circonstances, les enfants délinquants restent dans cette antichambre de la morale, préservés du poids du monde adulte. Le cinéma se nourrit depuis toujours de cette ambiguïté, parfois de manière passionnante - on y reviendra. Mais aujourd’hui, des cinéastes roublards surfent sans façon sur ce sentiment de compassion/fascination suscité par l’âge de l’impunité.
La violence juvénile , c’est « cool » ?Depuis La Cité de Dieu (ce long clip tarantino-scorsesien dans les favelas), le sujet semble même devenir « cool », voire plaisant. Et cela de manière plus ou moins discutable, certains cinéastes déréalisant complètement le contexte de la délinquance juvénile, pour ne retenir que l’impact visuel de la chose, toujours fascinante. C’est le cas dans Slumdog Millionnaire et Johnny Mad dog, par exemple. Le dernier film de Danny Boyle peint la violence des bidonvilles indiens avec la pose clinquante d’un clippeur (angles farfelus, montage haché comme un steak), sans considération éthique pour la réalité filmée. L’Anglais divertit son monde certes, mais non sans démagogie : ces enfants aux bouilles adorables sont pauvres et innocents, ce n’est pas de leur faute s’ils jouent avec des glocks à la place des Playmobil, allez hop, une petite rasade de musique hindi-pop pour diluer le malaise en un truc cool. Un peu facile non ? A un degré moindre, Johnny Mad Dog, qui raconte la descente aux enfers d’enfants-soldats au Libéria, joue avec notre fascination : ses protagonistes ressemblent à des machines de guerre folkloriques, et on les suit comme dans un jeu vidéo, en caméra subjective. Hypnotisé, le réalisateur rate le film « coup de poing » à vocation politique. Il expose à défaut d’exploser les clichés, nous assène une suite de scènes « à faire », comme dans un film de genre, avec de belles figurines pittoresques. Et ne montre finalement rien d’autre que de la violence esthétisée.
Rossellini gardait le mystèreCe qui manque à ces deux films trop superficiels, finalement, c’est la distance, l’espace pour réfléchir. Ce qu’André Bazin appelle l’ « objectivité psychologique », à propos d’ Allemagne année zéro, de Rossellini. Dans ce chef d’œuvre néo-réaliste, le personnage principal est un blondinet de dix ans qui, poussé par les circonstances, finit par commettre un meurtre. Ce que dit Bazin, c’est que contrairement à la plupart des cinéastes qui traitent les enfants comme si l’on pouvait les comprendre, tels de petits adultes vus de haut (cédant ainsi à une sorte d’ « anthropomorphisme »), Rossellini lui, affiche son incompréhension. L’enfant se sent-il coupable après son crime ? Ou pense-t-il déjà à son futur goûter ? Terrible questionnement. Alors que la caméra de Rossellini le suit dans les décombres de Berlin, le visage du gosse demeure impénétrable, jusqu’à la chute finale, car selon les mots de Bazin, « Les signes du jeu et de la mort peuvent être les mêmes sur le visage d’un enfant. »
Imprévisibles, borderline, métaphoriquesCe principe de non-identification peut donner lieu à des films-poèmes comme Elephant de Gus Van Sant (la tuerie de Columbine filmée comme un rêve sanglant), ou à des films-théorèmes comme Benny's Video (le meurtre d’une fillette par un gosse gavé d’images violentes) de Michael Haneke, qui se concentre froidement sur les liens de cause à effet aboutissant au mal absolu. Plus sensuels que les films de l’Autrichien glacé, les teen-movies trash de Larry Clark (Kids, Ken Park, Bully), cinéaste fasciné par le corps adolescent, parviennent eux aussi à générer une inquiétante impression d’arbitraire émanant du comportement de ses protagonistes, mi-anges mi-démons, s’adonnant au sexe, à la drogue et à la violence sans retenue. Ses personnages sont imprévisibles et borderline, ils incarnent bien la perte de repères moraux de l’Amérique. En forme de constat politique également, des films brûlants tels que les classiques Sciuscia (Vittorio De Sica, 1946), Los Olvidados (Luis Bunuel, 1950), Les 400 Coups (1959, François Truffaut), L'enfance nue (Maurice Pialat, 1968) ou plus récemment Scum (Alan Clarke, 1979) et Pixote (Hector Babenco, 1981), films qui évoquent tous la faillite morale des maisons de redressement, et saisissent bien toute la barbarie susceptible de naître chez un gamin oppressé physiquement, économiquement ou socialement. Ces films sont des métaphores. Car filmer ces jeunes délinquants revient à dénoncer les tares de la société, dont ils ne sont que le reflet : ici le système répressif et carcéral, là un gavage d’images violentes, ou une société en déroute morale, etc. Bref, des films qui montrent la violence juvénile sans se cantonner à leur simple exhibition, sans chercher à séduire forcément, des films qui ne choquent pas gratuitement mais pour traduire une pensée ou une émotion, interrogeant toujours et encore l’enfance comme un éternel mystère… Et ça fait souvent froid dans le dos.
Article original sur Fluctuat.net